Préambule

La psychothérapie est un acte difficile à définir; difficile parce qu’il s’agit d’une relation d’aide comportant plusieurs dimensions. La première dimension est la relation elle-même; il s’agit de cette interaction significative entre deux personnes qui ont choisi d’y investir temps, énergie, honnêteté, vulnérabilité et compétence. La deuxième dimension est la nature même de ce contrat dans lequel une personne est dans le rôle d’aidante et l’autre dans le rôle d’aidée, donc l’une dans une position de pouvoir et l’autre dans une position vulnérable. La troisième dimension porte sur les différents moyens utilisés pour supporter et favoriser le développement de l’aidé(e).

Le processus d’accompagnement vers une transformation plus profonde et intégrée va au-delà d’un acte essentiellement verbal.  C’est un acte qui implique une rencontre neuro-psychobiologique significative entre 2 personnes, d’hémisphère droit à hémisphère droit.  Dans cette relation, l’aidant doit être en mesure de fournir des conditions de sécurité suffisante pour permettre à l’organisme de la personne aidée d’être disponible à une expérience de contact et de s’apprivoiser à ressentir son expérience émotive.

Quelque soit le moyen utilisé, un(e) aidant(e) qui manque de discernement et de véritable empathie risque de blesser un(e) aidé(e) qui est en position vulnérable, même en utilisant des outils prouvés scientifiquement. Un silence, une tonalité, une interprétation, un toucher ou un reflet inapproprié sont toutes des interventions qui peuvent être dévastatrices en reproduisant une blessure du passé. On n’a qu’à faire l’expérience des reflets inadéquats pour réaliser tout l’impact que cela peut avoir au niveau de notre ressenti psychocorporel. Il y a suffisamment de littérature et de témoignages cliniques qui nous démontrent que ce sont les attitudes et miroirs répétés qui ont le plus d’influence sur la santé émotive d’une personne, pour insister sur le développement des compétences émotives des aidants  pour améliorer la qualité des services de psychothérapie et d’accompagnement en général. Nous ne pouvons diminuer les risques de reproduire des blessures qu’en nous attaquant au fond du problème :la formation des intervenants et psychothérapeutes.

Les blessures produites ou reproduites sur les aidé(e)s viennent la plupart du temps des transferts ou contre-transferts non identifiés par les aidant(e)s et du manque d’intégration d’une grille d’observation et d’intervention cohérente et éprouvée cliniquement. Ce risque ne peut être réduit que par une formation adéquate qui inclura une démarche de psychothérapie personnelle, un nombre suffisant d’heures de supervision et l’intégration d’un système éprouvé de compréhension du développement de la personne et du processus de croissance. Ce n’est qu’à ces conditions que l’aidant(e) pourra développer un discernement lui permettant de réagir de façon adéquate; le développement de cette habileté essentielle ne dépend pas uniquement de la méthode ni de l’école de pensée.

Limiter la psychothérapie à une intervention essentiellement verbale ne tient pas compte de toutes les recherches et observations cliniques qui montrent clairement l’importance du ressenti corporel dans le développement de la personne, tant comme lieu d’expérience et de mémoire pré-verbale que de référence intime sur la nature et la qualité de son expérience. Il faut aussi reconnaître que chaque individu a le droit au médium qui lui est le plus favorable dans son cheminement vers son Soi essentiel.

Notre responsabilité professionnelle et humaine doit porter sur la définition de conditions qui vont favoriser le développement d’une attitude professionnelle prudente, informée, compétente et respectueuse des autres, ce qui inclut le devoir d’un cheminement personnel en profondeur avant de s’engager comme guide auprès de quelqu’un d’autre.

La Psychologie corporelle intégrative

Essentiellement, la PCI vise à fournir et co-construire les conditions qui vont permettre à une personne en besoin d’accompagnement de se sentir suffisamment en sécurité, avec la personne du thérapeute, pour être disponible à une intégration d’habiletés et de compétences psychoneurobiologiques en relation à soi et à l’autre, différentes du passé.

La Psychologie Corporelle Intégrative (PCI) est une synthèse de plusieurs approches psychologiques (Gestalt, reichienne, psychologie du Soi, relations objectales) et de plusieurs techniques permettant d’intégrer l’expérience corporelle au cœur du processus de développement et d’intégration du Soi, comme le soulignent maintenant les recherches en neuroscience. Elle combine le travail cognitif verbal, la dynamique transférentielle client-thérapeute, la respiration, le mouvement, les réflexes posturaux, le travail des frontières et la présence dans le but de stimuler et de soutenir l’intégration du corps, de l’intellect, des émotions et du sentiment de soi. La PCI fournit à la personne aidée des outils pour qu’elle soit elle-même active dans sa démarche vers un mieux-être et pour qu’elle puisse accéder à une expérience de Soi différente de son passé, une expérience de soi plus vivante et plus libre des retenues protectrices développées.

Le travail avec la respiration, le mouvement, les frontières et la présence, dans le cadre de la relation thérapeutique, permet de stimuler et de sup­porter une nouvelle expérience de Soi et du sentiment d’être vivant. Cette approche multi-modale ( développée par les Drs Jack Rosenberg et Marjorie Rand ) fait intervenir plusieurs dimensions au cours d’une même séance de thérapie afin de permettre une intégration somatique de la conscience. C’est essentiellement à travers le corps que l’expérience psychologique se vit et est mise en mémoire. L’expérience clinique nous a montré que le travail simul­tané avec les enjeux psychologiques et leur enracinement corporel permet d’accéder à une expérience de soi diffé­renciée de son passé, de ses patterns défensifs et de la vie présente. En PCI, l’attention porte principalement sur le niveau de vitalité et les habiletés nécessaires pour développer et maintenir son sentiment de Soi. L’enracinement cor­porel fournit au sentiment de Soi une base stable pour affronter les changements liés aux mouvements de la vie.

La PCI utilise une grille holographique qui contient les con­ditions nécessaires au développement du soi, les éléments du processus de l’expérience émotive et les champs de l’expérience du Soi, ainsi que des interruptions issues des modes de protection développés par l’organisme, pour guider le client et le thé­rapeute à travers le processus de développement vers le Soi essentiel, vers une expérience de sa vitalité avec plus de liberté et de fluidité. Nous l’appelons la roue de la PCI. Nous allons vous décrire succinctement chacun des éléments de cette grille.

 En PCI, nous définissons le Soi comme une expérience d’identité, de continuité et de bien-être ressentie dans le corps. Celui-ci est central : c’est le lieu de résidence et d’expérience du Soi. C’est le baromètre de l’expérience, le miroir qui indique le mouvement d’expansion ou de contraction de l’organisme. Tout ce qui se vit psychologique­ment se traduit par une expérience corporelle. Le corps contient toutes les mémoires des expériences pas­sées et il est le lieu d’intégration des nouvelles expérien­ces. II est une réalité indissociable de l’esprit et des émo­tions. En PCI, la personne en thérapie est continuelle­ment

ramenée à son expérience corporelle, lieu de vérité qui déjoue souvent les mécanismes de défenses habituels. Nous supportons notre client à vivre dans et à travers son corps et à s’y ancrer d’abord par l’attention qu’il y porte. Nous utilisons également la respiration et différentes tech­niques corporelles douces pour augmenter la vitalité et favoriser l’expérience d’expansion du Soi. Ce travail de conscience corporelle permet de mieux gérer les tensions et blocages chroniques qui ont servi à nous protéger, mais qui, maintenant, nous limitent et entraînent souvent de la souffrance.

Retracer l’histoire des patterns relationnels vécus par la personne, son scénario originel, est essentiel au pro­cessus thérapeutique. Ce travail de prise de conscience des origines des blessures et des mécanismes de défenses développés pour y survivre, se fait d’abord sous forme de tableau synthèse et ensuite à travers l’élaboration de l’ex­périence thérapeutique, qui vise essentiellement une expérience correctrice des empreintes du passé. Les thèmes de vie et les pat­terns relationnels qui en ressortent indiquent déjà au thé­rapeute les directions à suivre et les enjeux. transférentiels qui se manifesteront. Chacun de nous porte, profondé­ment ancré dans notre mémoire cellulaire, les empreintes de ces expériences que nous reproduisons, sans le vou­loir, dans nos relations intimes et qui s’expriment à travers notre organisation corporelle et énergétique.

Les mécanismes de protection autrefois utiles constituent maintenant une entrave à la pleine réalisation du Soi. Ils se sont cristallisés sous la forme d’un style défensif particu­lier que la personne exprime dans ses relations. La PCI iden­tifie trois positions fondamentales à partir de laquelle une personne essaie de gérer ses enjeux de blessures d’abandon et/ou d’envahissement. La cuirasse caractérielle (au sens de W. Reich) est visible dans le corps et, grâce au travail corporel, est ramenée à la conscience. Reconnaître les effets de son style défensif dans son corps (tensions chroniques, oppressions, maux de dos, mi­graines, etc.) motive à faire des choix différents et, avec l’expan­sion du Soi, donne accès à de nouvelles ressources qui vont maintenant générer des frontières saines, c’est à dire la conscience d’un espace personnel habité qui aide l’organisme à sortir de ses modes de survie.

L’agence est une attitude qui consiste à mettre de côté son expérience de soi pour s’occu­per des autres. Enfants, nous avons appris à essayer« d’arran­ger » nos figures parentales pour qu’elles soient suffisam­ment stables pour prendre soin de nous et pour nourrir le lien dont notre organisme a tant besoin. Nous avons ainsi ap­pris à écouter notre voix intérieure seulement pour la met­tre au service des autres (ou contre les autres, donc encore en réaction). C’est une réaction viscérale qui ne peut être changée seulement au niveau idéationnel ou comportemental. Sans la conscience corpo­relle, la tendance reste et se manifeste continuellement.

La vie actuelle de la personne nous révèle à quel point elle vit de façon créative et en accord avec elle-même ou, au contraire, dans quelle mesure elle répète son scénario originel avec toute la souffrance, les sentiments d’impuissance et de lassitude que cela implique. Apprendre à sortir de la frag­mentation (expérience de morcellement du sentiment d’iden­tité) provoquée par les heurts avec la réalité, donne à la per­sonne des outils nouveaux pour mieux composer avec les circonstances actuelles de sa vie. Des étapes précises et effi­caces sont enseignées à la personne afin de maintenir le contact avec la réalité et ne plus sombrer (ou pour moins longtemps) dans le désarrois du petit enfant qu’elle n’est plus.

 

En PCI, la relation thérapeutique fait partie intégrante du processus. Le transfert qui se joue est interprété à la lumière du scénario et du style défensif de la personne. Le travail corporel met en évidence le transfert et son anachro­nisme. Grâce aux reflets justes et appropriés du thérapeute, la personne prend conscience de tout ce qui se rejoue dans la situation thérapeutique et peut enfin prendre soin de blessures jusque-là enfouies dans l’inconscient. Les blessures ont été causées en relation et ne peuvent être réparées qu’en relation. Le thérapeute est actif, il est une personne réelle impliquée dans la relation, il est un témoin privilégié de l’expérience du client et offre des miroirs psychocorporels adéquats qui lui permettent d’identifier ses manques et ses expériences d’expansion au cours de son processus de déve­loppement.

Le travail des frontières et de la présence est un outil extrêmement raffiné en PCI. Ces deux habiletés sont essentielles au processus thé­rapeutique, car elles per­mettent à la personne de contenir son expérience et de développer un sentiment de Soi bien enraciné. La pré­sence est la capacité d’atten­tion soutenue d’une per­sonne envers son expérience physique, émotive et énergé­tique. La frontière est l’es­pace physique, émotif et in­tellectuel que la personne occupe dans l’univers. Le thérapeute en PCI aide la personne à se doter d’une frontière et d’une qualité de présence qui l’aide à mieux respecter et gérer ses pro­pres besoins en relation. La frontière saine remplace peu à peu la frontière défensive deve­nue néfaste pour soi.

L’objectif ultime de ce processus est de supporter l’expan­sion du Soi pour rendre la personne capable de ressentir ses expériences de façon contenue et présente. L’expérience de vitalité et de bien-être ressentie dans le corps se développe au cours de la thérapie pour mener graduellement à un sens nou­veau à la vie. Allant au-delà de la répétition du scénario originel, la personne expérimente des sentiments profonds d’apparte­nance à la vie et d’expansion de son être. Cette expérience transpersonnelle ouvre un nouveau champs de conscience donnant accès à une sécurité et une liberté intérieure qui se manifestera par une vie plus satisfaisante, plus créative et ouverte sur le monde extérieur dans le respect de ses ressources et de ses limites.

 

Les apports des neurosciences.

Les principes du traitement psychothérapeutique élaborés par Schore, à partir de l’étude d’un très grand nombre de recherches, viennent en appui aux intuitions cliniques de Rosenberg et de beaucoup d’autres cliniciens.

Les principes de Schore: (référence:SHORE, A (2008), La régulation affective et la réparation du soi. Montréal : Ed du CIG)

  1. La psychopathologie du Soi est conceptualisée en tant que déficit de la régulation affective, résultant d’un arrêt (ou une limite ) du développement émotionnel.
  2. La régulation affective interactive, localisée surtout dans l’hémisphère droit, constitue un processus fondamental du développement psychobiologique et du traitement psychothérapeutique.
  3. La psychothérapie doit focaliser sur l’identification et l’intégration, non pas d’états mentaux conscients, mais d’états psychobiologiques non-conscients du corps/esprit, qui sous-tendent les fonctions affectives, corporelles, comportementales et cognitives-mnésiques.
  4. L’empathie thérapeutique est un ajustement psychobiologique non verbal , d’hémisphère droit à hémisphère droit.
  5. L’alliance thérapeutique est faite d’influences réciproques et non-conscientes.
  6. Le thérapeute doit être éprouvé comme étant dans un état de syntonisation vitalisante envers le patient.
  7. La psychothérapie porte une attention particulière aux affects primitifs dysrégulés -la honte, le dégoût, l’exaltation, l’excitation, la terreur, la rage et le désespoir- et à l’identification d’affects inconscients dissociés qui ne furent pas, dans le développement, régulés de manière interactive. 
  8. Le clinicien utilise son hémisphère droit sur le plan contretransférentiel et viscéro-somatique pour y décoder ses réponses au transfert du patient dans ses automatismes, ses expressions faciales, prosodiques, et à travers les affects exprimés somatiquement.  Il porte également attention à l’intensité , à la durée, à la fréquence et à la labilité des états internes du patient.
  9. Le thérapeute suit, d’instant en instant, les mouvements subtils ou dramatiques, associés à un contenu …. qui déclenchent des discontinuités non-linéaires de l’hémisphère droit .. et qui entraînent une dysrégulation des fonctions du self.
  10. …il veille à la cocréation d’un contexte interpersonnel … suffisamment sécuritaire pour permettre une révélation de soi plus profonde.
  11. Il conçoit les mécanismes de défense , comme des stratégies de régulation émotionnelle non consciente, ayant pour fonction d’éviter, de minimiser ou de convertir des affects qui sont trop difficiles à tolérer.
  12. La psychothérapie est une occasion de mise à jour des histoires d’attachement précaire, inscrites dans la mémoire implicite procédurale et emmagasinées dans les modèles internes de fonctionnement de l’hémisphère droit……
  13. La psychothérapie s’emploie à identifier des biais perceptuels formés précocement, d’action rapide et, ainsi, inconscients, du cerveau droit……
  14. La réparation interactive est un mécanisme central qui facilite la régulation mutuelle de l’homéostasie affective. À court terme, cette réparation infirme les attentes transférentielles du patient, lesquelles sous-tendent les évitements défensifs.  À long terme, elle permet l’émergence d’un système hémisphérique droit mieux apte à réguler l’intensité, la fréquence et la durée des affects négatifs et positifs.
  15. La tolérance affective du thérapeute est un facteur critique dans la détermination de l’étendue, du type et de l’intensité des émotions qui sont explorées ou désavouées dans la relation transféro-contretransférentielle et au sein de l’alliance thérapeutique.
  16. Plutôt que sur les interprétations génétiques, l’accent est placé sur le processus, sur l’hémisphère droit et ses formes prosodiques, de même que sur l’hémisphère gauche et le contenu linguistique des interprétations.
  17. La technique thérapeutique est dirigée vers l’élévation des émotions, à partir d’un niveau expérientiel primitif, symbolique et sensori-moteur, jusque vers un niveau mature, symbolique et représentationnel. …